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Tu es assis sur une chaise. Tu restes là. Tu ne bouges pas. Rien ne t’en donne la moindre force.
Impossible de concevoir une idée, un instant d’énergie, un élan de cœur, de vie, ni même un souvenir, où je ne sais quoi d’inventé, qui résisterait à cette froideur, à la sidérante réalité concrète du puits sans fond où tu tombes : et la descente brise silencieusement, presque mollement, avec la lenteur d’une pierre engluée de poix qui glisse irréversiblement dans ce puits, brise ta moindre tentative pour te retenir à quelque chose. Tu es littéralement cloué à cette chaise et rien n’empêche le for de ton être de s’enfoncer, de descendre toujours plus bas et loin dans l’obscurité. Rien ne te retient plus. Tu vois vraiment la fenêtre, le ciel, comme une lucarne de plus en plus étroite de lumière. Cela ne sera bientôt plus qu’un point minuscule.
Tu écoutes le silence, et dans ce silence un petit bruit, un bruit de terre qu’on racle, un bruit de peau, de chair qu’on déchire, le bruit que produit la distorsion de tout ce que tu es dans la dévorante nuit intérieure, cette nuit-là qui demeure même en plein jour, qui a perforé tes yeux à jamais incapables de retenir de la clarté comme avant, avant tout ça, avant ce qui t’a rendu comme aveugle, muet, sourd, mais pas tout à fait, pour te maintenir juste assez en vie afin que tu te sentes mourir.
Tu te dis encore : « Ça devra forcément s’arrêter un jour. On va forcément toucher le fond. Et alors, on va s’arrêter. » Mais la chute n’est pas celle de ton corps, et avec lui celle de ton âme dont tu sens l’inutile postulation d’existence, dans les entrailles terrestres, dans les enfers, la chute ne finit pas parce qu’elle creuse en toi-même, et c’est tout.
J’ai pensé, un instant, à cette expression d’un des personnages de L’Alliance, assis sur une chaise, au milieu de la scène enténébrée : « Quelle noirceur ! ». Jamais le ton employé par le comédien ne m’avait convenu. Comme si j’avais écrit une chose alors imprononçable, inaudible à mes oreilles, et que pourtant j’avais écrite. Mais rien ne sert alors de se souvenir. La mémoire, sans doute, essayant aussi de s’effacer. On attend. Mais le temps ne bouge pas non plus.
Cette noirceur existe. Aucun mot ne peut la porter à notre connaissance : elle ne survient que dans son fait, elle n’a besoin d’aucun sens ni d’aucun mot. On se demande alors vraiment : « Est-ce qu’il y aura encore un jour de la lumière ? »
On finit évidemment par se lever, on se déplace d’une pièce à l’autre, la barette de comprimés dans la main, on sort dans le jardin, on rentre, on prend une douche, on mange, on se couche, on dort peut-être, on ne le sait pas non plus, mais en fin de compte, tu n’as pas bougé, rien ne bouge plus.
1992
Avec Camille, nous décidons de mettre notre vieille télévision à la cave, cet appareil acheté chez un fourgueur juif du 12e arrond', au comportement ignoble envers son employé arabe. Pourquoi ? Parce que la chaîme machin-truc ne diffusait plus les épisodes de "Ma Sorcière bien aimée", notre seul programme. Depuis, je ne regarde plus aucune chaîne télévisée - télérévisée. Et j'ai pu depuis tout ce temps me conforter dans la pertinence de ce choix. J'ai fait une entorse à cette discipline pendant deux ans, pour le cul prodigieux d'une jeune femme, mais, là, c'est donc excusable !
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Hic et nunc ?
Hic et nunc, si je meurs, là, maintenant, d'une crise cardiaque, d'une implosion cérébrale, d'un coma éthilique (oh ! mais attention ! Avec du Whisky ou du Gin de haute qualité !), on ne le saura que dans environ une semaine. On pourrait ainsi mesurer la réussite d'un homme à être aimé par le temps que l'on met à savoir qu'il est mort.
Est-ce que ça aussi, ça s'achète ?
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Déjeuner sans grand intérêt avec quelques membres de la famille du "côté de" ma mère. Le frère de ma mère est toujours sympathique, bonhomme, conciliant, mais peu loquace. Sa femme est une petite et grasse saucisse à prétentions socialistes - plus par conscience de sa médiocrité que par science, et leurs enfants se différencient les uns des autres par leur tailles et leurs nombres de neurones inactifs.
Le restaurant est plutôt renommé dans la province : cher et aux menus fort lourds.
On terminait notre croûte aux morilles (c'est vrai que la gastronomie du Jura vaut le détour... Il n'y a bien que la Picardie qui soit sans gastronomie digne de ce nom !)... Bref : on mange.
Puis, au bout de quelques quarts d'heures, je me rends clairement compte qu'une jeune fille, d'environ moins que mon âge (soit 16 ans), à une tablée voisine, dans la même situation que moi (prête à hurler "Au secours !"), me fait d'hallucinantes oeillades, en se penchant en avant beaucoup plus que de nécessité, afin de me dévoiler son corsage ! Ô suprême beauté de l'instant ! Ô suprême droit de la femme qui s'abandonne !
Bref : j'étais tout en émoi. "Mais oui ! Cette fille est la femme de ma vie ! Elle est là devant moi ! C'est l'heure de la grande révélation !"
Je commence à concevoir l'impossible rencontre romantqque : je réponds à ses regards, je vais aux rtoilettes, là, j'attends... elle me rejoint. On ferme la porte à clé. On, s'embrase, mes mains qu'elle attend passent partout sur elle... Je la baise debout devant le lavabo ! Du Romantisme, en veux-tu en voilà ! Du Lamartine, quoi !
Puis, dispersant les nuées de mes songeries de Bonnie and Clyde du sexe, ma mère me dit : "Tu as vu, tu as un ticket. C'est marrant, à cet âge-là, elles osent tout." Évidemment, je n'ai pas bougé, et, donc, elle non plus. Et puis ils sont partis avant nous. Pourquoi ai-je eu aussi mal ? Pourquoi m'en souvenir encore ?
C'est 35 ans plus tard que je me rends compte de l'attentat : au lieu de faire preuve de la retenue exigée par le rôle de parent, et dont je ferais preuve, moi, cette "mère" s'est substituée à mon jugement et m'a dit ce que je devais en penser, et, surtout, elle m'a, comme toujours, confisqué mon impression et mon désir personnels.
Je ne connais pas de trahison plus profonde et sans remède que celle infligée par une mère qui vous fait naître pour ensuite vous avorter de votre vivant.
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Je voudrais savoir si j'ai connu une fois un amour "pur" !
Voilà qui va m'aider à savoir où explorer...
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Cela fait 55 ans que je suis devant le mensonge, la médiocrité, l'abus de pouvoir, la mesquinerie meurtrière, le délire de la connerie ; et je crois que je ne vais pas en finir sans avoir donné des noms. Je n'ai rien à perdre.
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Lorsque je suis avec la femme que j'aime, je ne me demande pas beaucoup qui elle est. J'accepte tout ce qu'elle peut être, et j'en veux encore et toujours ! Mais je me demande qui je suis - et c'est ça qui fait très mal.
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Désaffections :
Mes parents déménageaient souvent. Peu de temps pour des amitiés. On se rend compte qu’il existe une « structure », un « format » de vie : le même ensemble mécanique de contraintes et de réactions des personnes. Je détachais les êtres de leurs vies.
Une école, où j’étais depuis peu, sans doute Saint-Marceau (rue de la Mouillère, à Orléans) : un garçon de mon âge, peut-être de ma classe, dont je revois bien le visage, avec sa coiffure singulière à la Mireille Mathieu, ne cessait de me solliciter pour que je sois son ami. Je n’ai sans doute pas été à la hauteur de ses attentes. Il me reprocha un jour mon manque d’attention pour lui, et il me demanda : "Alors, c’est quoi l’amitié pour toi ?" ; je me souviens de n’avoir rien répondu : cette question m’a semblé totalement incongrue, étrange. Je découvrais qu’en effet entre lui et moi ne résidait aucune chose que j’aurais nommée « amitié ». Je pensais cela d’une manière dénuée de toute émotion : je n’avais ni honte, ni gêne, ni envie envers cette amitié qui aurait dû, selon lui, exister.
Les seules amitiés que j’identifiais comme telles, à partir 6 ans, ne pouvaient concerner que les filles. Ce n’est qu’au collège et au lycée que j’eus vraiment un ami. Un seul.
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Je vais donc, comme je puis, conter l'histoire de notre amour, cet Amour si fou qu'il nous a été difficlle de le garder dans nos vies et qu'il nous a souvent mener près de la mort.
Il fut une année 1998.